vendredi 30 janvier 2009

Monsieur R. et ses élèves

Monsieur R. fait parti de ces profs que je regretterai toute ma vie de ne pas avoir eu.

Monsieur R. est prof de "Creative English Writting" ; ici, cela signifie qu'il enseigne la littérature mais qu'elle n'est qu'un vecteur de modèles, d'inspiration, et que l'objectif principal se situe dans l'écriture. Par reproduction, par antithésisme, le but est que les élèves écrivent, sous quelque forme que ce soit, et qu'ils prennent conscience dans l'écriture de ce qu'ils sont, de ce qu'ils cherchent, de ce qui les a faits ; il s'agit là d'un vrai travail d'introspection qui naît de la réflexion suscitée par un sujet donné, une lecture faite, un débat eu.

Monsieur R. fait classe en cercle et est accompagné de Monsieur Kalamu Ya Salaam, écrivain reconnu, poète, musicien, avec lequel il fait systématiquement cours, encadrant les élèves d'une richesse de pensée par là même incomparable. Evidemment et entre autres langues, Kalamu Ya Salaam parle français et j'ai l'occasion parfois, de discuter avec lui et de tenter de comprendre mes élèves. Moments précieux.

Le duo invite et pousse les élèves au débat en permanence, les responsabilise, les sort d'une logique de raisonnement souvent conditionnée par un milieu fermé et peu lettré. Les séances sont rythmées par des silences réfléchis, des débats enflammés, des moments de récits collectifs, des chants reprenant des passages clefs de livres étudiés, des communions, des interviews d'acteurs diverses de la vie littéraire de la Nouvelle-Orléans et plus loin, et les écrits des élèves sont publiés dans des recueils que le centre d'écriture crée par Monsieur R. à l'extérieur de l'école se charge de diffuser.

Hier, j'ai assisté à une heure de classe avec des élèves de High School qui a commencé par un compte-rendu/discussion autour du projet mis en place quelques semaines auparavant, par Monsieur R : des élèves de high school volontaires ont été "placés" à certaines heures de la journée dans des classes de middle school pour aider certains professeurs qui en manifestaient le besoin et dont les effectifs, trop nombreux ou trop difficiles, nécessitent une deuxième autorité. Les étudiants volontaires sont bien sur de bons élèves, responsables et trés matures -beaucoup plus que des lycéens en France- et faisaient état hier de leurs premières semaines d'intervention.

Restée dans le fond de la salle pour finir de ranger mon matériel (je partage la salle de Monsieur R. et avait eu des élèves l'heure d'avant), j'écoutais avec attention leurs avis et leur incrédulité quant à ce qu'ils avaient observé des élèves de middle school, quand la plus enflammée du groupe se tourne vers moi et me dit :

"I'm sorry Miss T, I know you have some of these students but really, they are crazy!"
"Don't be sorry, m'empressai-je de dire, I agree with you!"

Cette élève, intervenue dans un cours d'anglais en 8th grade* (=sixième) était simplement abasourdie par l'absence totale de respect, de volonté et de motivation de ces élèves qui lui disaient en permanence, "I ain't do it, I just don't care..." et qui ne manifrestaient pas la moindre forme de correction à l'égard de leur professeur. Ladite professeure qui, quelques semaines auparavant, me disait que ce n'était tout bêtement pas dans sa nature de faire le dragon.

"I don't blame her Miss T. because these students are...oh, my God... but, she should be more strict or be mean, and it may works, ha?" ; je lui répondis que "It's difficult you know, to go against your own nature, and if you are not this kind of person, it's not easy to become one for an hour or two..."

Du coup, inclue dans le débat, je suis restée là à les écouter essayer de trouver des solutions pour faire en sorte que les élèves de middle school prennent leur cours d'anglais au sérieux, cessent de dormir en classe ou au moins, soient respectueux, épatée par l'investissement dont ces jeunes adultes faisaient preuve et par les paramètres qu'ils prenaient en compte pour excuser sinon comprendre ce qui avait poussé ces élèves à de tels extrémités de comportement. Katrina par exemple qui est intervenu au beau milieu de leur petite enfance, et qui a fait des dégâts inimaginables au sein des familles.

Bref, je suis sortie de cette heure de cours avec dans le corps et dans la tête, deux sensations :
- le soulagement de constater que ouf, je ne suis pas la seule prof qui rame (oui, égoïste conclusion de prof rassurée)
- l'admiration devant ces élèves si habités par la responsabilité d'aînés et devant ce prof, Monsieur R. dont je sais que tous se souviendront longtemps.


(* A la fin de l'année de 8th grade, les élèves doivent nécessairement réussir leur "Leap Test" s'ils veulent accéder au grade supérieur ; leap test qui comprend une épreuve de mathématiques, de social studies et bien sur, d'anglais.)

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