vendredi 7 août 2009

Retour et Bilan - Partie 2

Si l'enseignante donc a eu du fil à retordre et si bien souvent, elle a eu envie de donner des coups de boule dans la masse, elle a aussi bénéficier d'une expérience absolument unique dont les ressacs survivront longtemps, lancinants, dans les profondeurs de ses introspections.
Pas mal cette phrase, tiens.

- Avant toute chose, j'y ai développé un anglais fleuri qui m'a rendue capable de comprendre ça. Il faut savoir que les élèves afro-américains des écoles publiques de la Nouvelle-Orléans ne parlent pas l'anglais standard et ne parlent pas non plus l'américain courant. Ils utilisent un anglais argotique amputé et bricolé qu'il est très difficile de comprendre. Exemple ? Exemples :
ils ne disent pas "he doesn't" mais "he don' ". Sans "t" en plus, oui.
ils ne disent pas "open the door" mais "ope tha do".
ils ne disent pas "nothing" mais "not'gn"
ils ne disent pas "twenty" mais "tweny" (et supprime tous les "t" de manière générale)
ils ne disent pas "you all" (pour "vous" pluriel) mais "yall" quand ce n'est pas "yao"
Ce qui a accru mon écoute et améliorer de façon exponentielle ma compréhension orale, mais qui m'a aussi donné un accent New Orleans reconnaissable dans tous les Etats-Unis!

- Hyper important également, les collègues, qui tous m'ont appris quelque chose et ont contribué à ce que je comprenne cette culture afro-américaine aux antipodes de la mienne. La culture est le maître mot en réalité de ce que cette année m'a apporté : la langue, la façon de raisonner, de manger, d'accepter, de se souvenir et d'aider, cet apprentissage donc, a été d'une richesse incroyable.

- L'absence de jugement ; voilà qui a été aussi très positif. Les américains, femmes, hommes, enfants, ados, ne jugent pas. Ils ne se moquent pas et acceptent l'autre en témoignant toujours beaucoup d'intêrét pour ce qui le différencie. A l'école, les élèves ne se moquent jamais les uns des autres malgré une franchise grande-gueule et protègent les "différents" plutôt qu'ils ne les prend pour cibles. De la même façon, la Nouvelle-Orléans est-elle l'exemple type d'une communauté bouillonnante de styles, d'individualités toutes aussi surprenantes les unes que les autres qui ne redoutent pas le jugement de l'apparence et où les gens se sentent parfaitement libres de s'y vêtir comme ils l'entendent et d'y laisser parler leurs inclinaisons esthétiques aussi loin qu'ils le désirent. J'ai d'ailleurs, à titre d'illustration de base, croisé peu de gens non tatoués à la Nouvelle-Orléans. Et les femmes entre elles sont beaucoup moins féroces que les françaises au boulot.
Sauf vos à prioris, les Américains sont des gens gentils. Quand ils ne sont pas traders.

- La douceur de vivre ; le climat bien sur, la chaleur ou la douceur de l'air, mais aussi la végétation tropicale, luxuriante, qui fait des arches suspendues au-dessus des routes, le rythme de vie, calme, parfois trop calme (voire à rendre dingue au bureau des permis de conduire, mais enfin), la musique qui flotte dans l'atmosphère en permanence, la vie au-dehors ; tout y est satisfaction de se lever le matin.

Voilà ce à quoi je pense lorsqu'il s'agit de faire le bilan positif mais je sais que j'oublie des choses, que mon engouement et mon amour pour cette ville ne se limitent pas à ça, et que donc, j'y reviendrai.

jeudi 6 août 2009

Retour et Bilan - Partie 1

De retour, à la Nouvelle-Orléans cette fois-ci, on a retrouvé la canicule douillette, certains diront insupportable, du mois d'août. 93 degrés farenheit et 91 % d'humidité. On respire comme à travers un coton imbibé d'eau. J'adore.

Bilan donc.

Bilan de l'année scolaire et personnelle écoulée, bilan de ce qu'elle a apporté, bilan de ce choc culturel inévitable quoiqu' inattendu dans ses proportions ; enfin, bilan d'une petite portion de route dans une école publique américaine défavorisée en plein coeur de New Orleans.

Plusieurs points semblent se détacher du reste ; des comportements marquants parce qu'absolument inhabituels pour la française que je suis, et des croyances difficiles à ingérer.

- Lorsque vous êtes prof dans ce genre d'école (collège + lycée en ce qui concerne la mienne), vous devez d'abord apprendre à connaître cet autre support qu'est le vecteur premier et essentiel de la communication entre les élèves : le corps. Mes élèves n'avaient de cesse de danser, de bien danser ; de chanter, de bien chanter ; et cela constituait l'aspect plutôt positif de la chose. Mais très vite, cela s'est traduit par d'autres manifestations que sont les hurlements : mes élèves étaient tout bonnement incapables de parler sans hurler. Sans se rendre compte de ça, et sans vouloir du tout le corriger auquel cas, les élèves se hurlaient dans les oreilles en permanence, en classe, dans les couloirs, à la cantine, et lorsque les profs eux-même se font entendre d'un bout à l'autre d'un couloir de 700 feet sans avoir à forcer sur leur voix, qu'y trouver d'anormal ?! Pour eux, après en avoir discuté et avoir tenté de comprendre, c'est un signe de force ; celui qui hurle le plus fort et le plus vite, est celui qui domine. Les autres ou la situation.
De la même façon, les filles, très précoces d'un point de vue développement physiologique, usent beaucoup de leur corps, de leur souplesse et de l'audace que leur jeunesse libre leur laisse, pour "parler" aux garçons, plus âgés souvent, et osent des comportements qui ne seraient pas tolérés parce que mal compris dans un établissement scolaire français. Or, dans la mesure où on laisse les élèves dans la plus parfaite ignorance quant à la sexualité et ses questionnements (contraception surtout, mais aussi MST, etc) , ce langage conduit parfois -souvent- les jeunes filles à aller un peu trop loin dans la communication. Cette année, 4 élèves ont quitté l'école parce qu'elles étaient en grossesse avancée.

- Ensuite, il faut apprendre à gérer l'incapacité des élèves à se concentrer ; si vous êtiez prof en France, oubliez ces heures de cours de français où ensembles, d'un élan d'amour commun pour la littérature française naturaliste, vous décortiquiez les textes de Zola et Mirbeau pendant une heure légale de classe, et qu'entre questions et débats, la pensée avancait, se construisait, avant de noter tout ça dans un cours bien propre souligné au stylo rouge. Quoi je fantasme ? Quoi j'idéalise ? Bref. Dans une école publique américaine, à forciori défavorisée, vous ne pouvez pas faire un cours uniforme d'une heure ; les élèves ont été éduqués dans la thérorie du "je-passe-à-autre-chose-5-mn-après-l'avoir-commencé" (il n'y a qu'à en constater pour preuve le nombre incalculable de spots pub durant un film sur les télés américaines, qui le font s'étirer près de 3 heures et qui rend la suite chronologique et sémantique du film impossible à suivre!)
Donc acte ; les élèves s'attendent à ce que votre cours soit constitué d'un éventail changeant d'une multitude de petites activités ludiques (on ne dit pas à un enfant qu'on laisse à l'école le matin "travaille bien", mais "have fun"...) qui évitent l'écueil terrible de la lassitude scolaire. Si cela devait arriver, les élèves ne manqueraient pas de vous le faire remarquer par un "it's boring" légitime qui attend donc, une remédiation immédiate. Et si l'ennui devait persister, ils se lèveraient tout simplement de leur chaise pour marcher librement dans la classe en disant devoir s'étirer et faire un "break". Au mieux. Au pire, ils se mettraient à chanter et à danser (voir paragraphe ci-dessus!) Et ça je peux vous dire, ça donne envie de casser des dents.

- Enfin, ce qui est le plus marquant, et le plus choquant à vrai dire, ce sont ces croyances religieuses, que je respecte, mais qui prennent souvent la place de réelles connaissances. J'ai déjà évoqué le sujet précédemment sur ce blog, mais il me faut là en faire une nouvelle mention. La certitude absolue que les élèves nourrissent par exemple, concernant la création du monde par Dieu, leur inspire un rejet catégorique de l'histoire de l'évolution des espèces et des théories darwinistes pour ne citer qu'elles. Les dinosaures n'ont pas existé et leur prof de sciences leur assène qu'en effet, Dieu a crée le Monde, mais que le noter noir sur blanc dans des livres scolaires en école publique, ne se fait pas. Perplexité. De la même façon, la confiance qu'ils ont en ce que Dieu leur réserve pour l'avenir les conforte imparablement quant à leur futur d'adulte mais les dispense également d'agir : si je tombe enceinte (voir plus haut), Dieu en a voulu ainsi et de toute façon, l'avortement est contraire à l'Eglise.

Voilà ce qui, à titre personnel et non représentatif, m'a marquée cette année, plombée un peu les premiers mois et enrichie les derniers.

Alors bien sur, je n'évoque pas -encore- ce que cette année m'a apporté de si positif que je suis encore là, mais il est bien connu qu'on ne retient d'abord que le négatif, le difficile, l'obstacle surmonté. J'y viendrai donc dans un post prochain qui sera la suite et la fin de ce bilan.